Larmes

   Elle serre les dents. Rarement elle n'a eu aussi mal de sa vie... et autour d'elle, ces gens qui vivent, inconscients de sa douleur... Un hurlement silencieux de révolte monte en elle, de souffrance, de chagrin, monte, monte, l'étouffe. Elle aimerait pleurer, elle ne peut pas. Trop fière. Elle ne leur montrera pas. Non. Ils ne sauront pas...

   Mais les souvenirs dansent en elle, la submerge. Elle ne la reverra plus... elle est partie... elle ne la reverra plus... elle ne la reverra plus !

   Elle reporte son regard à l'extérieur. Le ciel est magnifique, strié de reflets rose, oranges, bleu... Les arbres eux-même sont grandioses, parés de leur manteau flamboyant de l'automne.

   Mais cette beauté ne lui évoque que la mort. À quoi la mène sa vie ? Elle l'ignore. Où vont-ils, tous ces êtres qui se croisent, pleurent, rient... ? Elle l'ignore. Mais elle sait que tôt ou tard, ils sombreront dans l'oubli...

   D'ailleurs, tout sombrera tôt ou tard dans l'oubli. L'Histoire peut se rappeler des derniers millénaires, cela n'est rien par rapport à l'éternité. Qui se rappellera de l'Histoire lorsque l'humanité aura disparu ? Qui cela intéressera ? Personne... personne. Et dehors, ces couleurs, oranges, rouges, brunes, ce sont les couleur de la fin. La fin... On est à l'automne de l'humanité et bientôt viendra son hiver... sa fin. Sa fin...

   Le vent s'agite derrière les vitres, comme pour répondre à ces questions désespérés. Il aimerait lui transmettre les paroles de celle qui est partie, son amour, ses encouragements, mais son chagrin est devenu impénétrable, elle n'entend pas ces mots. Seuls cette litanie terrifiante lui parvient : " Elle n'est plus là... elle n'est plus là... elle n'est plus là... " Et elle aimerait pleurer mais elle ne peut pas. Elle aimerait hurler mais elle ne peut pas. Elle est là... au milieu de tant de gens... et pourtant si seule.

   La vie est magnifique mais si brève... Qui se soucie dans l'univers du départ d'un seul être ? Ce n'est après tout rien de plus qu'un grain de poussière tombant dans l'océan, ce n'est après tout rien... rien... et pourtant le chagrin de ceux qui restent, lui, est infini et éternel.